Katherine Pancol : Beyrouth est une fête

Katherine Pancol est une célèbre journaliste et romancière française. Elle a écrit pour Paris Match, Cosmopolitan, Elle, Le Journal du Dimanche… où elle alterne chroniques, reportages et interviews, notamment avec des personnalités comme Ronald Reagan, Jacques Chirac, Johnny Hallyday, etc. en plus de ses romans vendus à des centaines de milliers d’exemplaires. Voici ce qu’elle écrit concernant son séjour à Beyrouth.

« Ça y est ! Je reprends goût à la vie ! Dix jours sans pouvoir avaler quoi que ce soit… Et le sol qui embrassait le plafond chaque fois que je posais pied à terre, un corset de fer autour de la poitrine, le front en feu, les tempes qui jouaient du marteau enclume… J’ai jeûné, dormi, dormi et jeûné et un matin (et cinq kilos en moins !), j’ai ouvert les yeux et j’ai vérifié que le plafond restait bien en haut et le plancher bien en bas. Le monde tournait rond et je n’étais plus une racine carrée de malaises !
Alors que vous raconter ? Que le Liban est une bouteille de champagne posée sur un volcan et qu’à Beyrouth, la fête est perpétuelle, frénétique comme une avance que les habitants prennent sur la vie et le prochain conflit… les Libanais sont les gens les plus accueillants, les plus affectueux, les plus gais, les plus entreprenants, les plus insouciants, les plus généreux du monde. La vie, ils l’inventent à chaque minute de peur qu’on ne la leur confisque. Ils ont cette intuition terrible : la guerre peut surgir n’importe quand, alors vivons pleinement, aimons, dansons, buvons du café noir, du café blanc, fumons de longs narguilés, ouvrons des boutiques, des restaurants, construisons, traînons dans les rues, faisons des carnavals, inventons, célébrons, oublions les feux rouges, l’interdiction de fumer, vivons, vivons, vivons…
Beyrouth est une fête. Ils ne savent pas d’où le danger va surgir pour leur tomber sur la tête. Le Liban est une immense boîte à lettres où chaque pays voisin fait passer un message en posant des bombes, en assassinant, en écharpant… Ce ne sont pas les Libanais qui font la guerre, ce sont les pays autour qui se font la guerre via le Liban. J’étais allée au Liban une première fois, il y a douze ans. Le pays était alors en pleine reconstruction… après une guerre. Des gratte-ciel surgissaient au milieu des décombres, des camions déblayaient des tonnes de gravats, les façades étaient criblées de balles, on apercevait, béants au soleil, des bouts de cuisine, de salle de bains, de chambre à coucher, la poussière s’élevait en gros nuages gris qui montaient vers un ciel toujours bleu… et les voitures klaxonnaient, klaxonnaient ! J’avais déjà été frappée par l’énergie qui vibrait dans l’air. On pouvait la saisir à pleines mains et en faire des éclairs. Douze ans après (et après bien d’autres guerres !), Beyrouth est toujours debout, les buildings en verre lèchent le ciel, des rues montent et descendent comme à San Francisco délimitant un vieux quartier et des quartiers de luxe, des quartiers d’affaires, des rues du soir, des rues de la nuit, des rues qui grouillent, grouillent.
Tout le monde se mélange à Beyrouth et, semble t-il, dans la bonne humeur… C’est une impression, je ne suis pas restée assez longtemps, mais je n’ai ressenti aucune tension entre les différentes communautés. Il y a des femmes en mini-jupes et des femmes voilées, des hommes en djellaba et d’autres en costume cravate et tout le monde vit ensemble.
J’ai couru au Musée de Beyrouth voir les statuettes des guerriers phéniciens…de longues et minces silhouettes semblables à des Giacometti. J’ai appris à traverser les rues en étendant le bras, en joignant les mains, en cambrant les reins tel le torero face au noir taureau dans l’arène, en suppliant qu’on ne m’écrase pas ! Il faut ployer, sautiller, frôler la tôle, feinter et passer… pour rejoindre des trottoirs qui font office de garde-meubles, garages, dernier salon où l’on cause. J’ai compris que les feux rouges sont faits pour être brûlés, sauf les « importants » où l’on consent à s’arrêter, les cigarettes à griller dans tous les restaurants et la vitesse à être constamment dépassée… J’ai bu du café turc sur la Corniche au bord de la mer. On était en novembre, il faisait 28 ° et la mer me chatouillait les pieds. J’ai marché dans les rues avec Rachid El Daif, un auteur libanais qui a écrit un très bon roman paru chez Actes Sud, « Qu’elle aille au diable, Meryl Streep ! », et nous sommes allés nous poser dans les jardins du café Al Rawda… J’ai parlé avec Tania, éditrice, qui se bat pour sauver les vieilles maisons de Beyrouth de la convoitise des spéculateurs immobiliers, avec Katya qui peint, j’ai déjeuné au People avec Dédy, un ami tombé dans les livres quand il était petit, dîné avec Emile, libraire chez Virgin, j’ai été invitée partout, partout et chaque fois, reçue les bras grands ouverts et la gourmandise aux lèvres. Les Libanais sont curieux, raffinés, cosmopolites. Ils commencent une phrase en arabe, la truffent de mots anglais et français, parlent avec les cheveux, les mains, les yeux… Le soir de mon arrivée, j’ai dîné à la même table avec des Libanais de toutes familles : des chrétiens, des musulmans, des chiites, des sunnites, des maronites, des druses, des catholiques, des orthodoxes, des riches, des pauvres, des bons vivants, des austères, des grands, des petits, et ils parlaient tous sans s’écharper. De la Palestine et d’Israël, des USA et de l’Arabie Saoudite et pas une minute, ils n’en sont venus aux mains ! J’imaginais le même dîner en France… Je suis allée avec Dédy à Saïda visiter un vieux palais, le palais Debbané, niché en plein souk, une ancienne maison familiale où une pièce entière est dévolue à de gigantesques volières disposées de chaque côté et j’ai imaginé des concerts d’oiseaux en stéréo ! Nous avons visité le musée du savon Audi, toujours dans le souk, une résidence magnifique où l’on déroule pour vous toute l’histoire de la fabrication du savon… et un caravansérail, construit par des Français au moment des Croisades. Sur la terrasse d’un restaurant face au Château des Croisés qui s’avance dans la mer, j’ai pensé à Joséphine et au XIIème siècle ! Elle me racontait des histoires de Croisés qui ont fait souche, de Croisés qui ont péri, de Croisés qui ont pillé, de Croisés qui ont construit et je l’écoutais, ébahie. Toutes les notes que j’avais prises pour les recherches de Joséphine revenaient et se mélangeaient aux images de Saïda et de la forteresse… Au retour, nous nous sommes arrêtés dans une orangeraie et une femme a pressé des oranges, des pamplemousses, des mandarines et des citrons rien que pour nous. Il y avait des jouets d’enfants répandus sous une tonnelle, du linge qui séchait, des figues ventrues, un vieux jardinier, des arbres ployaient sous les fruits, des rigoles irriguaient le pied des arbres… Le temps s’est arrêté. On se parlait avec les mains, avec les yeux et c’était délicieux…
Vous avez compris, j’ai aimé le Liban. Beaucoup, beaucoup. C’est un pays de lumière où la vie pétille et chante… une belle leçon de courage et de bonne humeur! »

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