TOM FLETCHER

L’ambassadeur du Royaume-Uni quitte le Liban laissant un message très touchant et tellement vrai : «Ne sous-estimez jamais le peuple le plus tenace de la planète»
Tom Fletcher, l’ambassadeur du Royaume-Uni au Liban, et sa charmante épouse Louise, ont quitté le pays du cèdre pour une nouvelle mission diplomatique loin de chez nous. D’un naturel optimiste et affable, l’œil bleu et pétillant, le sourire engageant, il nous avait reçus chez lui en toute simplicité dans le jardin ensoleillé de sa demeure à Yarzé quelques jours après son arrivée. Tom Fletcher est sans aucun doute un des meilleurs ambassadeurs qu’on a eu au Liban…

Dans un humour très «British», le jeune ambassadeur a fait ses adieux aux Libanais, laissant un message très émouvant dont voici quelques extraits : « Je quitte votre pays extraordinaire après quatre ans. Contrairement à vos responsables politiques, je ne peux pas proroger mon mandat… J’ai rêvé du Beirutopia et du Liban 2020, mais j’ai vécu la réalité macabre de la guerre syrienne…
Des balles et du botox. Des dictateurs et des divas. Des seigneurs de la guerre et des wastas. Des machiavels et des mafieux. Des armes, de la cupidité et Dieu. Le Game of Thrones avec des RPG. Les droits de l’homme couplés aux droits du Hommos. Quatre marathons, 100 blogs, 10 000 tweets, 59 entretiens téléphoniques avec les chefs de gouvernement, 600 et plus longs dîners, 52 allocutions pour des cérémonies de remise de diplômes…
La vie politique dans votre pays est tout aussi déconcertante, pour les ambassadeurs aussi bien que pour les citoyens libanais…
Certains oligarques nous disent qu’ils sont d’accord pour amorcer un changement, mais sont incapables de le faire. Ils nous flattent et nous nourrissent. Ils compliquent inutilement les choses en y ajoutant les ingrédients du complot, des rectificatifs créatifs, des intrigues. Ils sapent le travail des leaders qui œuvrent en vue de l’intérêt national. Ils ne font simplement rien et blâment les adversaires, une communauté tierce, les accords de Sykes-Picot, Israël, l’Iran, l’Arabie saoudite (éliminer les variables selon les besoins). Ils nous demandent alors de faire passer l’ami de leur cousin en premier et avant tous ceux qui attendent leur tour pour faire leur demande de visa. C’est digne des romans d’Orwell, c’est exaspérant et destructif pour les citoyens libanais qu’ils sont censés servir… Lorsque le Moyen-Orient était à feu et à sang et les peuples de la région pris entre les tyrans et les terroristes, le Liban dont je me souviens a envoyé ses soldats pour protéger les frontières, a affronté les frustrations au quotidien pour édifier des entreprises et éduquer ses enfants, faisant preuve d’une générosité extraordinaire à l’égard des étrangers, que ce soit les ambassadeurs ou les réfugiés. Le Liban dont je me souviendrai n’est pas en train de demander de l’aide, mais de l’oxygène. Il ne planche pas sur le passé, mais discute du futur.
Ceux qui regarderont en arrière pour voir la période difficile que nous avons traversée se demanderont : comment le Liban a-t-il survécu ? Nous connaissons déjà la réponse : Ne sous-estimez jamais le peuple le plus tenace de la planète. Un peuple qui, durant des millénaires, a bravé les obstacles.
Ils disent que le Liban est la tombe de l’idéalisme. Pas mon Liban à moi. J’ai eu le privilège de mener cette lutte à vos côtés. Je suis convaincu que vous pouvez défier l’histoire, la géographie, même la politique. Vous pouvez édifier le pays que vous méritez. Peut-être aussi, cesser d’importer les problèmes pour exporter plutôt les solutions… Vous devez être plus forts que les forces qui vous déchirent. Vous devez vous battre avec ardeur…
J’ai réalisé que si l’on ne peut pas gagner le débat autour de la tolérance et de la diversité au Liban, on le perdra partout ailleurs. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu aider, c’est par ce qu’il y va également de notre intérêt national.
C’est la ligne de front d’une bataille bien plus grande. Car les lignes de clivage ne sont pas entre chrétiens et musulmans, entre chiites et sunnites, entre l’Est et l’Ouest, mais entre ceux qui croient à la coexistence, et ceux qui n’y croient pas…
Alors, si l’Internet ne marche pas, installez un nouveau réseau. Si le courant électrique ne fonctionne pas, construisez un nouveau générateur. Si la politique ne progresse pas, édifiez d’autres politiques. Si l’économie est embourbée dans la corruption et que les déchets s’empilent, définissez une nouvelle économie. Si le Liban ne progresse pas, inventez un nouveau Liban. L’heure est au développement, non à la simple survie…
Moi et l’extraordinaire équipe qui m’a accompagné à l’ambassade continuons d’acheter des actions dans le Liban 2020. Je conclus ma mission en tant qu’ambassadeur, mais avec votre permission, je serai toujours un ambassadeur pour le Liban.

EXTRAIT DE L’INTERVIEW DE FOCUS MAGAZINE :

Comment définiriez-vous les relations bilatérales actuelles entre le Royaume-Uni et le Liban ?
Elles sont excellentes et se renforcent de plus en plus, parce que nous avons toujours œuvré pour la stabilité et le développement du Liban. Nous avons aussi doublé notre aide militaire.
Nous encourageons par ailleurs la promotion et l’investissement des marques anglaises au Liban.
D’autre part, nous assurons aux touristes britanniques les meilleures conditions afin que leur séjour soit agréable et qu’à leur tour ils puissent promouvoir le tourisme dans ce pays.

Qu’est-ce que le projet « Lebanon 2020 » ?
Nous avons créé « Lebanon 2020 » ; c’est un débat avec les citoyens libanais à travers des séminaires, un blog et des comptes Twitter et Facebook, afin de contrer le fatalisme de certains par rapport à l’avenir du Liban. Les réformes civiques, le développement culturel et économique, la stabilité politique au Liban sont des choses importantes pour le Royaume-Uni et nous continuerons d’œuvrer dans ce sens.

Pourquoi 2020 ?
L’année 2020 marquera le centenaire de la proclamation de l’Etat du Grand Liban. C’est assez symbolique comme chiffre, d’abord parce notre but est à long terme et qu’il serait plus facile aux libanais de visualiser des changements qui n’auront pas lieu du jour au lendemain, ensuite parce qu’en optique une vision de 20/20 représente la perfection.

Êtes-vous donc optimiste quant à l’avenir du Liban ?
Oui, d’abord parce que mon « finjane » est toujours à moitié plein, ensuite parce les libanais ont bonne mémoire et que les groupes politiques qui dirigent actuellement le pays veulent éviter toute forme d’instabilité. Ils n’y trouveront aucun avantage.

Qu’avez-vous déjà appris de ce premier poste d’ambassadeur ?
La leçon que j’ai apprise est la suivante : en politique, le jugement personnel et instinctif est beaucoup plus important que toutes les informations intellectuelles qu’on a pu glaner au fil des ans.
Il est essentiel d’être soi-même, et de ne pas se perdre dans les détails complexes des groupes politiques libanais. C’est un défi perpétuel de ne pas perdre de vue l’essentiel, à savoir le développement et la stabilité du Liban.
Nous tenons à maintenir les relations dynamiques qui unissent nos deux pays.

Comptez-vous renouveler votre terme ?
J’espère rester ici le plus longtemps possible, parce que je m’y plais beaucoup.

Qu’est ce qui vous plaît et vous déplaît le plus au Liban ?
J’admire la résilience des libanais, et j’aime beaucoup le climat et la cuisine. Par contre, je n’aime ni le défaitisme de certains libanais, ni les embouteillages.

Vous êtes un britannique protestant marié à une irlandaise catholique. Un bel exemple de coexistence pour le Liban.
Le Liban est, ironiquement, à la fois le pire et le meilleur exemple en matière de coexistence. Les libanais de différentes confessions devraient se battre pour lui et non pas à cause de lui. Il le mérite.

Un message pour la Ligue Arabe ?
Plus d’optimisme et de confiance en elle-même pour une démocratisation totale.

Et pour la Syrie ?
La Syrie devrait être plus claire quant à ses intentions et les valeurs qu’elle aimerait représenter, afin de minimiser les dégâts des changements en cours.

Orienterez-vous vos enfants vers une carrière politique ?
Ils feront ce qu’ils voudront le moment venu. D’ailleurs, je ne viens pas d’une famille politique, mes parents et mon frère sont des instituteurs.

Craignez-vous pour la sécurité de votre famille au Liban?
Pas au point de ne pas fermer l’œil la nuit, surtout que mon personnel est efficace, discret et très bien formé.

Vous aimez beaucoup la montagne. Quel est votre passe-temps préféré en pleine nature?
Je fais du ski et du jogging autant que je peux.

Un livre préféré ?
Non pas un seul mais plusieurs. Crime et Châtiment, de Dostoïevski, Le Guépard, de Lampedusa, et Pour Qui Sonne Le Glas, d’Hemingway.

Et en musique ?
Les U2, encore plus que les Beatles, mais aussi les Black Eyed Peas.

Un souvenir que vous chérissez particulièrement ?
Un safari au Kenya, et la naissance de mes enfants, Charles et Theodor.

Un rêve personnel ?
Voyager un peu partout dans le monde, mais pour l’instant, rester ici autant que possible.

Une destination idéale pour les vacances ?
Le Kenya, l’Afrique du Sud…et maintenant le Liban.

Un mot pour définir le Liban ?
Le potentiel.

Le Royaume-Uni ?
L’innovation.

L’Irlande ?
La convivialité.

La France ?
La classe.

La beauté ?
Ma femme Louise.

Qu’est-ce que le luxe ?
Le luxe, c’est avant tout la qualité, et le Royaume-Uni est connu pour ses grandes marques qui allient tradition et technologie de pointe.

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